Questions pour démarrer la discussion:
1- Que pensez-vous de l’aide médicale à mourir ? La demanderiez-vous ?
2- Pensez-vous que votre vie vous appartient au point que vous seul.e pouvez décider du moment et des conditions de votre mort ?
3- Pensez-vous que la société n’a qu’à vous fournir les moyens si vous choisissez la mort volontaire, par exemple en rendant l’aide médicale à mourir accessible à toute personne qui la demanderait ?
4- Si une personne avec qui vous avez une relation signifiante choisissait la mort volontaire ou l'aide médicale à mourir, croyez-vous qu’elle a un devoir de vous préparer à faire le deuil de cette relation ? Comment ?
5- Y a-t-il une autre façon d’envisager la fin de vie? Croyez-vous qu’il faut aussi considérer une autre avenue non abordée dans ce texte?
L’aide médicale à mourir est un phénomène relativement nouveau au Québec. L’expérience de Jean-Pierre Papin a soulevé plusieurs questions chez moi : Est-ce un suicide assisté ? Est-ce un acte de grande liberté face à la vie ? Un pied de nez à la mort ? Et moi, est-ce que je la demanderais ?
Au Québec, l’aide médicale à mourir fait partie des outils de « soins de fin de vie ». C’est donc un soin dans l’arsenal des soins palliatifs quand la mort naturelle s’annonce trop dure. Ailleurs, comme nn France, l’aide médicale à mourir n’est pas permise. En Suisse, on ne parle pas d’aide à mourir, mais de suicide assisté. La différence est importante. Si l’aide à mourir est un soin pour aider une personne en phase terminale à vivre une mort douce, digne et sans souffrance, ce n’est pas une assistance à son suicide.
Dans le cas de Jean-Pierre, j’avais un doute :
puisqu’il n’était pas en grande souffrance,
puisqu’il ne correspondait pas à l’image que j’avais d’un « mourant »,
puisqu’il a devancé d’un mois la date prévue pour l’acte médical lorsqu’il a réalisé qu’il ne regagnerait pas suffisamment d’autonomie pour vivre ses derniers mois chez lui sans un soutien vingt-quatre heures par jour,
puisqu’il satisfaisait aux conditions légales d’admissibilité à l’aide médicale à mourir, mais que ce droit pouvait lui être retiré au moment même de l’acte s’il n’avait plus toutes ses facultés intellectuelles,
puisque la mort naturelle se présentait comme une perte d’autonomie et de dignité pour une durée indéterminée, solution inacceptable pour lui,
il a décidé de sortir de scène au plus vite pendant qu’il en avait la possibilité. N’est-ce pas cela, un «suicide assisté » ?
Mais vivre avec lui ce passage m’a beaucoup éclairé. L’avoir vu boucler presque toutes ses relations dans les dernières semaines, avoir été témoin du rapprochement salutaire avec ses enfants, l’avoir vu se battre pour mourir selon sa volonté, l’avoir entendu nous recommander fortement l’aide médicale à mourir quand ce sera notre tour, l’avoir entendu réviser les moments marquants de ses soixante années de vie dans les dernières minutes avant l’acte médical, le voir partir presque joyeux, en nous envoyant la main, m’a amené à souhaiter en faire autant à mon tour. L’image d’un suicide assisté s’est estompée, d’une part parce que sa mort serait survenue au plus tard dans les prochains mois. Mais surtout parce que nous étions très loin du désespoir qui, pour moi, accompagne le suicide.
Mais même cette image du suicide a bougé chez moi avec la lecture récente du livre Rendez-vous avec la mort d’Yves St-Arnaud (Éditions Liber, Montréal, 2020). Ce livre raconte le dernier tour de piste d’un homme de soixante-seize ans, relativement en bonne forme, qui a décidé de se suicider pour ne pas prendre le risque de devenir éventuellement un fardeau pour ses proches et la société. Cette lecture a modifié ma conception du suicide dans le cas d’une fin de vie « non désespéré ». D’ailleurs, l'auteur utilise autant le terme « mort volontaire » que le mot suicide. Ma conception du terme « fin de vie » a bougé également : ce peut être tout simplement le sentiment que ma vie est achevée et que le moment est venu d’échapper à une vie insignifiante et bientôt encombrante pour mes proches et pour la société et qu’il est temps de mettre fin moi-même au voyage sans attendre la mort naturelle.
La question est donc : Est-ce que ma vie m’appartient ?
Si oui, j’ai le droit, et rien dans la loi au Québec ne l’empêche, d’y mettre fin en toute lucidité. C’est ce que Jean-Pierre a fait dès qu’il a constaté qu’il se qualifiait pour l’aide médicale à mourir. Dans le cas d’une personne âgée en bonne santé, comme dans le livre de St-Arnaud, mais qui trouve que sa vie est de plus en plus insignifiante et qui ne veut pas prendre le risque de devenir un fardeau, la seule alternative est le suicide, la mort volontaire.
Ce livre rejoint d’ailleurs l’expérience de Jean-Pierre, qui dit à la page 57 : « Le plus difficile, ce n’est pas tant de mourir que de rompre définitivement les liens ». St-Arnaud admet lui aussi que se diriger vers une mort volontaire pose la question de la responsabilité des liens affectifs que l’on a créés (p. 132). Il parle même de préparer ses proches à faire le deuil de cette relation au lieu de les placer devant le fait accompli d’une mort volontaire (p. 129, 130, 142). Nous accompagner à préparer notre deuil, c’est ce que Jean-Pierre a fait, particulièrement lors de son soixantième anniversaire lorsqu’il nous a demandé d’être présents quand il recevra l’aide médicale à mourir, mais surtout en nous invitant à nous exprimer sur sa décision.
Mais, pour une personne non admissible à l’aide à mourir, la question demeure, selon St-Arnaud : « La souffrance d’imposer un deuil de relation à mon ami, à ma sœur et à mon frère deviendra-t-elle plus grande que la souffrance anticipée d’une vieillesse pitoyable ? » (p. 130)
Pour ma part, je crois bien que je demanderais l’aide à mourir si la situation se présentait. Par contre, je ne sais pas si j’opterais pour une mort volontaire afin de ne pas risquer de me retrouver dans une vieillesse pitoyable, ou dans une vie qui n’aurait plus de sens. Il me semble que ma vie aura toujours un sens grâce, justement, aux bonnes relations que j’ai avec ma blonde, mes enfants, petits-enfants et plusieurs ami.e.s, et parce que je crois que la mort est une entrée dans une autre réalité. Mais, si un jour, je reconnais chez moi les premiers signes d’une perte de mes facultés cognitives, est-ce que j’envisagerai la mort volontaire si je ne me qualifie pas à l'aide médicale à mourir? Je ne sais pas.
Donc,
1- Que pensez-vous de l’aide médicale à mourir ? La demanderiez-vous ?
2- Pensez-vous que votre vie vous appartient au point que vous seul.e pouvez décider du moment et des conditions de votre mort ?
3- Pensez-vous que la société n’a qu’à vous fournir les moyens si vous choisissez la mort volontaire, par exemple en rendant l’aide médicale à mourir accessible à toute personne qui la demanderait ?
4- Si une personne avec qui vous avez une relation signifiante choisissait la mort volontaire ou l'aide médicale à mourir, croyez-vous qu’elle a un devoir de vous préparer à faire le deuil de cette relation ? Comment ?
5- Y a-t-il une autre façon d’envisager la fin de vie? Croyez-vous qu’il faut aussi considérer une autre avenue non abordée dans ce texte?
Je souhaite dialoguer avec vous sur ces questions ou d’autres qui vous viennent à l’esprit. Je vous invite à partager vos réactions, commentaires et questions.
On a fait beaucoup de chemin depuis 50 ans comme le démontrent quelques situations auxquelles j’ai été témoin. Alors que la mort était un sujet pratiquement tabou dans les années 1970-1980, on est aujourd’hui de plus en plus confortable à envisager sa fin de vie et même disposé, lorsque c’est possible, à planifier ses derniers instants.
Il y a près de 50 ans, à quelques jours du décès de mon père d’un cancer généralisé, des amis venaient le voir et lui parlaient encore de voyages de pêche qu’ils pourraient faire ensemble dans les prochaines semaines. Il y avait comme une règle tacite qu’on ne pouvait pas parler de la mort. Mon père est donc décédé et il n’a été possible de lui dire tout au plus : « Les médecins sont très inquiets à votre sujet. »
15 ans plus tard, c’était mon beau-père qui arrivait à cette étape. Alors qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre, des membres de la famille ne pouvaient envisager qu’il soit envoyé à la Maison Michel Sarrazin. Heureusement, nous avons pu le faire et mon beau-père est parti sereinement, entouré de ses proches.
Quel contraste avec des expériences vécues récemment. Mon beau-frère Pierre dont la condition baissait rapidement a, une fois rendu dans une maison de soins palliatifs, connu un regain de vie. Il a pu vivre deux ou trois semaines supplémentaires et recevoir la visite de ses proches. Il n’arrêtait pas de dire comment il était chanceux : il n’y avait que 12 places à cette résidence et il pouvait profiter d’une de ces places.
Plus récemment encore, mon ami Gilbert sentant sa fin approcher et conscient des efforts grandissants que sa condition imposait à sa conjointe, a demandé lui-même d’aller dans une maison de soins palliatifs. Il a pu pendant quelques jours accueillir parents et amis avec qui faire ses adieux en se rappelant de bons moments vécus ensemble. Gilbert n’a pas demandé l’aide médicale à mourir mais il était prêt à le faire la journée où il aurait été dans l’incapacité de lire. Il a planifié lui-même une bonne partie de ses obsèques en choisissant les personnes appelées à témoigner et en décidant des détails de la célébration.
Pour moi, les départs de Pierre et de Gilbert sont des modèles inspirants et je souhaite vivement pouvoir quitter ce monde de cette manière : ils sont partis au terme d’une maladie qui ne s’est pas éternisée, encore en possession de leurs facultés, en sachant que la fin était proche et en l’assumant. Toutefois, j’admets qu’il n’est pas toujours possible de contrôler totalement le scénario de sa fin de vie. Nous pouvons quitter ce monde subitement (ex. : accident d’auto) ou, à l’inverse, dépérir lentement pendant des années, atteints d’une maladie dégénérative qui nous fait perdre progressivement nos facultés cognitives au point, au moment de notre décès, de n’être plus du tout la même personne.
D’une certaine façon, la législation sur l’aide médicale à mourir qui continuera à se raffiner règle la partie la plus facile en permettant à des gens dont la mort est proche de planifier leur fin de vie. Il reste à trouver une bonne façon de pouvoir planifier sa fin de vie alors que la maladie entraîne des pertes cognitives de plus en plus importantes.