Le livre L’aide médicale à bien mourir — les grands enjeux m’a travaillé tout l’été. Lire sur la fin de vie pendant plus d’un gros mois, c’est faire un voyage qui laisse des traces. Parce que c’est lire sur la mort. Et la mort, qu’on le veuille ou non, n’est jamais inoffensive, même dans un livre. Il n’y a aucune sécurité quand on la côtoie jour après jour. Cette lecture m’a donc transformé. Je ne m’y attendais pas. Je me rends compte que ce forum sur la fin de vie que j’ai créé en juin dernier n’est pas anodin. L’animer l’est encore moins.
C’est la même chose pour vous qui y participez ou simplement lisez les commentaires. Le sujet n’est pas sans gravité, sans danger. Je ne peux accumuler les textes, lancer des questions, susciter des réponses comme si nous parlions de sport ou de littérature. La fin de vie est un sujet qui nous touche, qui nous rejoint dans une partie profonde de nous, qui est sensible et fragile. Probablement parce que nous sommes mortels, parce que nous savons que notre mort est inévitable, que nous devrons la traverser et, quoiqu’on en dise, nous ne connaissons rien d’elle et nous serons complètement seul.e.s quand ce sera notre tour.
Pour animer ce forum, je me suis donc attaqué à ce livre comme à n’importe quel autre, me disant qu’il fournirait de la matière à notre réflexion commune. Je me suis laissé travailler par lui sans m’en douter. Quelle ne fut pas ma surprise de sentir à deux occasions précises qu’il me pétrissait comme un potier avec sa motte de glaise. D’abord lors d’un rêve fort signifiant au cours de cette lecture et, après celle-ci, alors que je voulais me changer les idées en me jetant dans un bon roman, je me suis retrouvé sans m’y attendre plongé encore plus profondément dans le même sujet!
J’ai rêvé une nuit que je mourais d’une crise cardiaque en canot sur le lac Wapizagonke, en Mauricie. Pas étonnant, j’étais en vacances au bord de ce grand lac, qui pourrait facilement s’appeler le lac long, mais dont le nom signifie en langue innue « une espèce de canard très rare » ou encore « là où l’on trouve des pierres à aiguiser » [1]. Ce rêve fut vraiment une pierre qui m’a aiguisé. Je suis assis en arrière du canot et je m’écroule, raide mort. Mon amoureuse, en avant du canot au beau milieu du lac, lance un cri de mort, c’est le cas de le dire, ce n’est pas un jeu de mot. Elle réussit à se faire secourir et à me ramener sur la plage. Revirement de situation : c’est elle, morte, que je ramène sur la plage! Une baigneuse médecin vient confirmer le décès. Abasourdi par ce qui m’arrive, mais en possession de tous mes moyens, je sais ce qu’il faut faire pour accompagner ma douce dans son passage. Aidé par quelques personnes, je l’étends dans un coin tranquille de la plage. Je demande à mes petits- enfants d’aller chercher des fleurs sauvages, à l’un de mes fils d’apporter de l’eau pour lui laver le visage, à ma belle-fille d’aller chercher dans notre canot la robe que mon amoureuse revêt toujours après la baignade.
En contrôle de la situation, probablement grâce à l’adrénaline, mais surtout grâce à une profonde conviction qui me donne l’assurance nécessaire, je nettoie délicatement le sable de son visage, j’étends la robe sur son corps inerte, je fabrique un bouquet avec les fleurs des enfants et le place dans ses mains jointes puis, assis à côté d’elle, je la prends doucement dans mes bras et la berce. Je lui dis « Mon amour, ma chérie, tu es partie, mais tu es encore là, prends ton temps; tu racontes souvent que le Livre des Morts Tibétain dit que les morts ne savent pas qu’ils sont morts et qu’il faut le leur dire, alors je te le dis, tu es morte, mais encore un peu ici, n’aie pas peur, je suis avec toi ». Je lui répète ces mots en retenant difficilement mes larmes en attendant l’ambulance qui prendra une heure et demie à arriver.
C’est alors que je me rends compte que je ne rêve plus, mais que je suis éveillé et en pleurs, en pleine nuit, dans la tente, ma blonde qui dort calmement près de moi. Il me faut une bonne heure pour me remettre de ce songe étrange.
Pas si étrange, finalement, puisque je venais de lire plus de deux cents pages sur comment mourir dignement. Mourir dans la dignité, c’est être respecté et accompagné, c’est se sentir aimé immensément et inconditionnellement, peu importent les conditions du départ. Mon rêve me dit que je suis prêt à affronter la situation quand la mort se présentera pour ma blonde comme pour moi et mes proches.
Ce songe confirme le plus grand fruit que j’ai récolté en lisant L’aide médicale à bien mourir : la confiance en moi-même qui s’est affermie par rapport à mon attitude et mes gestes devant la fin de vie. Je sais que je saurai comment m’y prendre pour mourir dignement ou pour accompagner celles et ceux que j’aime dans leur dernier passage. Cette assurance me vient également de l’enseignement que j’ai tiré lorsque j’ai accompagné Jean-Pierre Papin dans sa fin de vie pendant l’été 2020 et lors de son décès en septembre. Il m’a enseigné comment les relations sont importantes et comment la volonté de se faire respecter peut faire la différence. (Plus de détails ici).
Quant au roman qui m’a pris par surprise, il s’agit de À train perdu, de Jocelyne Saucier. (Mon commentaire se trouve ici)
Le mot clé qui me reste, comme marqué au fer rouge, après la lecture du livre L’aide médicale à bien mourir est « Dignité ». En effet, Jean Desclos ne cesse tout au long des trois cent quarante pages de marteler son idée principale :
« Mourir dans la dignité, c’est mourir respecté dans sa liberté et mourir accompagné. » (Page 190)
Pour faciliter la lecture de mon commentaire sur ce livre, je l’ai divisé en sept textes :
1- Jean Desclos : un éthicien et un prêtre qui a changé de camp, suivant une méthode rigoureuse
2- Quatre morts « indignes », selon Jean Desclos
3- Mourir dans la dignité, selon Jean Desclos
4- « Seule la personne qui souffre sait » (Jean Desclos)
5- Liberté et conscience, selon Jean Desclos
6- L’enjeu spirituel, selon Jean Desclos
7- Rituel de fin de vie proposé par Jean Desclos
Chacun de ces textes est indépendant des autres. Vous pouvez donc les lire dans le désordre. Je vous invite à ajouter votre grain de sel si vous le désirez.
1- Mikinak, Guide pédagogique de sensibilisation, Conseil en éducation des Premières nations, p. 81
La décision de vivre ou mourir vers une fin de vie souhaitée par peur de vivre prend trop d'attention.